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21 Avril 2025
Afrique du Sud-Histoire/ANC-Mandela
Par Philippe Miazonzama
LIBREVILLE, 21 avril (Infosplusgabon) - L’Afrique du Sud post-apartheid a connu trois présidents, et un intérimaire. Tous Noirs, et membres de l’ANC (African National Congress), le plus grand parti politique de ce pays qui constitue aujourd’hui, la première puissance économique et militaire du continent. La seule nation africaine à faire partie du G 20, aux côtés des plus grandes de ce monde, et des autres pays émergents. Le premier pays à organiser la coupe du monde de football sur son sol, à l’échelle africaine. Des aspects peu reluisants caractérisent aussi ce pays bien sûr, mais ô combien la lutte fut âpre, pour y conquérir l’égalité des droits civiques pour tous, sous l’impulsion déterminante de Nelson Mandela, décédé depuis 2013 pourtant, mais dont l’aura continue à inspirer tant d’individus à travers le monde.
Le cynique pervers dirait qu’il y a des corps qui n’acceptent pas d’être mis en terre seuls. Alors pour eux, il fallait impérativement assurer les morts en chaîne, et au quotidien. Si les émeutes banalisées ne pouvaient les pourvoir, les rivalités fratricides savamment entretenues ne failliraient pas au moins à garantir la scène en horreurs. Et puis, les trottoirs là-bas se prêtaient tellement au jeu des balles perdues que, aussi longtemps que des âmes s’y étaient aventurées, toutes n’avaient jamais été assurées de retrouver l’intimité confortable d’un chez-soi.
Tel se présentait de façon caricaturale, le socle sur lequel reposait le système de l’apartheid inlassablement décrié dans le monde entier, et dont le pouvoir de Pretoria s’était enfin décidé d’annoncer le démantèlement en 1990. Avec en toile de fond, Nelson Mandela, super star mondiale, particulièrement dans la décennie 1980.
Le fondement d’un combat
Lorsque naît l’Union Sud-Africaine en 1910, tous les espoirs sont permis qu’après les douloureuses expériences des affrontements sanglants entre Anglais envahisseurs, et Zulu farouches défenseurs de leurs terres - conflit qui mit spectaculairement en relief un téméraire meneur d’hommes, et fin stratège : Chaka ; qu’après la très rude guerre entre Anglais et Boers ; qu’après la rude épreuve du grand trek, le Cap de Bonne Espérance bien nommé, ne pouvait désormais être autre chose qu’une terre de paix et de prospérité. Erreur ! L’évidence avait vite fait de dissuader les esprits à se faire pousser des ailes.
L’Afrique du Sud était le seul pays du monde à l’époque, dont la constitution proclamait de manière explicite, la supériorité d’une race sur toutes les autres au sein de sa communauté nationale : en l’occurrence la race blanche sur celles noire, indienne et métisse. De sorte que juridiquement, et ce depuis 1948 particulièrement, des terres très peu propices aux activités de l’agriculture et de l’élevage, ne représentant de surcroît que 13% du territoire national, fussent les seuls domaines légaux attribués aux Noirs. Et l’absurde engendrant l’absurde, il avait par la suite fallu compter avec la substance de la loi de 1951 interdisant aux Noirs l’exercice de toute activité en zone urbaine. Ce, dans l’objectif ferme de mieux les confiner dans des réserves que le pouvoir Blanc avait vicieusement baptisées Homelands (terres d’accueil).
Dans pareil contexte, nul ne s’étonnera alors d’apprendre que le plus noble des sentiments soit régimenté aussi. Donc, point de mariages interraciaux, sous peine de répondre d’un crime flagrant contre l’Etat, d’autant que toutes les communautés raciales en présence étaient appelées à se développer de façon harmonieuse. Entendez : séparée et inégale.
Le long parcours du combattant
Ce cortège de frustrations collectives, vieilles de plusieurs décennies déjà, avait suscité des rencontres de concertation entre dirigeants Noirs. Lesquels s’étaient résolus à fonder en 1912, l’ANC (African National Congress) : Congrès National Africain). Parti auquel était assigné la délicate et pressante mission de réhabiliter l’homme noir, castré de sa dignité. Pour se préserver d’opposer un racisme à un autre cependant, les dirigeants de l’ANC réunis au congrès de Kliptown en juin 1956, avaient déclaré dans un document intitué ‘Charte de la liberté’ que : « l’Afrique du Sud appartient à tous ceux qui y vivent, sans distinction de race, de sexe, de religion, unis dans la volonté de bâtir la nation d’Azanie ». Une telle déclaration implique de fait que, le pouvoir ne pouvait y être assuré que par l’observation stricte du principe sacré : un homme, une voix.
Une fois de plus pourtant, la main franchement tendue était ignorée par la communauté d’en face, qui préfèra répondre à ce geste empreint de tant de bonne volonté, par des actes d’intimidation, d’une atrocité inouïe. C’est cette violence insolente et aveugle, qui avait lassé les jeunes du mouvement, de continuer à tendre l’autre joue. Lassitude qui avait vite fait place à la révolte. Car le PAC (Pan Africanist Congress) vit le jour en 1958. Robert Sobukue, le fondateur du nouveau parti, avait inscrit la lutte armée au programme de l’action à mener. Profondément convaincu que, seule la violence fait taire la violence. Ce radicalisme lui avait ainsi fait exclure l’idée de toute adhésion de non-Noirs au parti, espérant de la sorte éviter d’avoir à gérer des trouble-fête, dans cette lutte si âpre, pourtant exaltante à la fois.
Au nom de ce même radicalisme, Steeve Biko, avec détermination, mais sur une vision plus large, lança le mouvement de la conscience noire, qui rendit Soweto célèbre aux yeux du reste du monde, par le refus historique et ensanglanté, de l’enseignement de la langue Afrikaans dans les écoles noires, en 1976.
La libération de Nelson Mandela
Le 11 février 1990, nous nous étions écriés ‘spectaculaire’, que Mandela fût sorti de prison, après près de 28 ans de détention. Cela allait sans dire, en tous cas. En effet, l’homme n’avait-il pas bravé un rouleau compresseur exceptionnellement gigantesque, donc impressionnant à la démesure ? N’ayant altéré rien à ses convictions, et à ses engagements face à l’histoire de son pays. Donc, à l’histoire universelle tout court, en dépit des intimidations multiformes que l’on peut aisément imaginer dans un tel contexte. Ayant de surcroît fait montre à l’unanimité, de cette foi légendaire qui déplace les montagnes.
Par contre, que De Klerk eût annoncé en la circonstance une série de mesures politiques devant le tristement célèbre parlement tri-caméral au sein duquel ne siégeait aucun représentant de la majorité des 26 millions de Noirs qui peuplaient l’Afrique du Sud à l’époque, et qu’on se soit exclamé ‘spectaculaire’, on était en droit de se demander pour qui, et pourquoi ?
Si ‘spectaculaire’ pouvait signifier ‘magnifique’, nous aurions alors compris que c’était magnifique pour Mandela et sa ténacité. Magnifique pour les enfants de Soweto qui n’avaient jamais reculé devant la mort déployée en chaîne. Magnifique pour l’ANC qui n’avait jamais cessé d’alterner les stratégies, afin de toujours faire face à l’oppresseur zélé. Et si l’on pouvait faire de sorte que magnifique fut synonyme de victoire, alors, voilà une victoire de choix pour l’unité africaine.
Mais attention ! Cette victoire, aussi décisive fût-elle, était loin d’avoir été finale. L’écroulement de l’édifice décrié n’ayant en effet pas été pour le lendemain. Il était toutefois réjouissant de constater la liberté de manœuvre dont Mandela bénéficiait désormais. D’autant que lui seul avait la carrure nécessaire, pour faire contrepoids sur la balance des négociations entre le pouvoir et les mouvements de lutte pour l’émancipation civique, en vue de l’avènement de la société pluriraciale et égalitaire qui devait caractériser l’Afrique du Sud du futur. Or, la question des négociations était une pierre d’achoppement énorme, en elle-même. Ayant mis en présence des défenseurs de thèses foncièrement antagonistes.
Mandela et l’ANC avaient toujours opposé au piège de l’ethnicité, la volonté générale. Et au racisme, l’ordre du droit et de l’universel. Démarche qui avait largement abouti sur le principe de ‘un homme, une voix’. Comment fallait-il alors convaincre ceux qui, pendant de si longues années, avaient pris aise à s’installer à califourchon sur le cheval du ‘Racial Seperation Act’, à poser pied à terre ?
Issue
Là était la grande question. Pointés de part en part en effet, De Klerk et la minorité des 5 millions de Blancs à l’époque, avaient enfin reconnu que l’abolition de l’apartheid restait leur seule chance de survie. Car la poussée inlassable de la rue, la campagne singulièrement dynamique de désobéissance civique, les pressions internationales, la crise économique, le désinvestissement de plusieurs firmes occidentales, le lourd poids de l’entretien de l’appareil de répressions, et les rafales glaciales du violent vent de l’Est, avaient eu raison, même de la ténacité des partisans de l’aile dure du PN (Parti National). Mais pour que tout ceci ne paraisse point aux yeux de l’opinion, il fallait impérativement soigner la sortie. Comment ? En plongeant stoïquement dans les courants des réformes scabreuses.
L’apartheid ne se réforme pas malheureusement. Il s’abolit tout simplement. Et ras le bol de la politique des petits pas. Car une volonté sincère d’équité, n’est régie par aucun besoin de prolongation, dans la décision fermement prise d’éradiquer le système de l’éducation séparée. De même, le principe de la séparation résidentielle, en fonction des quatre groupes raciaux en présence, sur l’échiquier Sud-Africain. Ce dernier point avait d’ailleurs constitué un préalable majeur à la redistribution des terres, dont 87% de la superficie nationale étaient attribués aux seuls Blancs.
La violence, doit-elle toujours servir à l’homme de tremplin, pour faire entendre la voix de la raison ? Voilà la fabuleuse épopée de la lutte contre l’abolition de l’apartheid en Afrique du Sud, et qui a conduit au pouvoir pour la première fois dans l’histoire du pays, un Président Noir à la tête de l’Etat en 1994 : Nelson Mandela. Epopée à s’approprier sans modération, en guise d’héritage impérissable.
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